Wikipédia en licence non-commerciale : et pourquoi pas ?

Depuis quelques temps, la sphère wikimedienne est agitée par un amendement ajouté par Jean-Marie Cavada au projet de loi européen traitant de l’harmonisation du droit d’auteur à l’échelle de l’Union européenne. Ce dernier vise la liberté de panorama, exception au droit d’auteur autorisant à publier une image d’une œuvre située dans l’espace public (un immeuble, une statue…), mais souhaite plus précisément en restreindre l’usage à des fins commerciale. Or, les licences utilisées sur Wikimedia Commons, qui servent d’illustrations sur les articles de Wikipédia entre-autres, disposent d’une clause de réutilisation commerciale. L’amendement déposé par l’euro-député Cavada, s’il était accepté rendrait de fait toutes les images de Commons prises au sein de l’Union européenne en vertu de cette liberté de panorama illégales et devraient être supprimées. Mais ne serait-il pas plus malin et plus logique de supprimer cette clause de réutilisation commerciale ?

Les projets Wikimedia et leurs contenus ont été placé sous la licence libre CC-BY-SA, soit Creative Commons – Partage dans les mêmes conditions, qui autorise toute réutilisation ou travail dérivé sur l’oeuvre, tant que le ou les auteur(s) soient cités et que le partage se fasse par l’usage exact de la même licence, et ce même à des fins commerciales. Pourquoi avoir choisi une clause commerciale ? La raison invoquée par ses partisans : parce que dans le cas contraire, on limite la diffusion des contenus lorsque celle-ci se fait par la vente de supports (CD, clés USB…) sur lesquels ils sont enregistrés. Ainsi, les sites Wikimedia sont publiés sous une licence dite libre ; dans le cas où l’utilisation commerciale serait prohibée, on parlerai de licence de libre diffusion.
La licence CC-BY-SA a cependant une limite, outre les abus réguliers faits sur la réutilisation du contenu où des auteurs et éditeurs reprennent et commercialisent des œuvres avec des contenus de Wikipédia sans le moindre respect de la licence, il est impossible de placer des contenus d’une licence qui ne soit pas libre sur Wikipédia ou sur Commons, car non-compatibles. Un peu dommage quand l’on voit que beaucoup de contenus de qualité, notamment des photos, sont placés sous des licences de libre diffusion.

Pourquoi prendre une licence non-commerciale ? À la fois parce que d’un point de vue éthique et moral, je considère que le savoir ne se marchande pas, il se transmet librement ; et permettre la réutilisation commerciale, c’est tourner un peu le dos à cette valeur fondatrice de Wikipédia. Cela limiterait-il la diffusion de la connaissance par des ventes de supports ? Au regard des faits, et peut-être même de la loi, il y a t-il vraiment acte commercial sur le contenu de Wikipédia si la personne qui vend le CD, ne vend que le CD à sa valeur d’origine (ou imposée par la loi) ?
On peut considérer qu’une personne qui achète le CD avec un contenu de Wikipédia pour la valeur unique du CD faisait comme si elle achetait un ordinateur, une tablette ou tout autre support pour se connecter à Internet et consulter directement Wikipédia. Dès lors, vendre un support physique avec un contenu de Wikipédia sans augmenter la valeur à débourser fait qu’il n’y a pas d’utilisation commerciale de Wikipédia, ce qui rend dès lors la pratique compatible avec une licence à clause non-commerciale. Sans parler qu’il y a quelques autres frais qui peuvent être liés à l’enregistrement du contenu sur le support, comme l’électricité ou l’abonnement à Internet, mais qui peuvent ne pas être pris en comptes par la personne qui distribue ces supports.

La seule chose que je pourrais reprocher à monsieur Cavada, c’est de prendre comme exemple Wikimedia dans son argumentaire en exposant des choses fausses. Wikimedia est un simple hébergeur de contenus qui restent la totale propriété de leurs auteurs respectifs. Ainsi, une photo chargée sur Commons reste la propriété de celui qui la prise ; cette personne a simplement fait le choix de permettre une diffusion libre de son œuvre. De fait, comment Wikimedia pourrait payer des droits sur des photos qu’elle ne fait qu’héberger et dont elle ne fait nul commerce ? Et pour ce qui est du monopole américain, celui-ci ne serait-il pas aussi le fruit des pays européens qui ont bridés l’innovation et qui ont pris cinq trains de retard avant de se dire qu’il faudrait aussi se mettre au numérique et à Internet. Les géants d’Internet sont essentiellement américains peut-être bien parce qu’il n’y a que là-bas que l’on autorise de façon morale et légale de se lancer dans une entreprise un peu folle et ambitieuse, mais qui peut réussir grandement quand elle fait mouche. On sème toujours ce que l’on récolte, et comme les pays européens n’ont rien semé, ou plutôt ont semé trop tard, et bien la récolte est très médiocre.

Le cercle vicieux de la peur et de l’extrémisme

Internet. Un mot qui désigne un réseau dimensionnel et planétaire unique, mais qui a une connotation négative dans l’inconscient d’une partie des couches de la société. Pour certains, ce mot exprime l’ignorance et la bêtise, pour d’autres les réseaux sociaux et le narcissisme exacerbé, ou encore la domination américaine sur le monde… L’un des grands paradoxes du début de ce siècle est précisément l’Internet et la vision mitigée que la société en a.

Pourquoi ce réseau mondial et décentralisé, qui n’a pour seule raison d’exister celle d’être un lieu de libertés, d’échange et de partage à une échelle globale, peut-il être considéré de manière à la fois négative et aussi étriquée ?

La peur de la société

La première chose est que l’Internet, malgré lui, inquiète, voire même, fait peur. Tout d’abord, parce qu’il s’agit d’une chose peu connue, or l’être humain réagit à l’inconnu par la peur qui conduit souvent à l’agressivité. Alors que nous devrions faire preuve de curiosité et d’audace vis-à-vis du réseau, nous en avons peur et n’osons ne rien y faire, préférant laisser faire ceux qui s’y connaissent. Une chose qui est très dangereuse, car le refus de connaître une chose nous entête à mal la considérer, sans parler qu’une telle ignorance volontaire mène à la naïveté vis-à-vis des dangers qui peuvent aussi la caractériser.

Les élites détenant le pouvoir et le savoir ont également peur de l’Internet, car il est leur concurrent le plus direct et la remise en cause de leur pouvoir. À ce titre, ils font tout pour le dénigrer et alimenter les peurs et méconnaissance que nous avons vis-à-vis de l’Internet. Dans leur discours, le réseau mondial est au mieux un repaire de no-life acculturés, au pire, un réseau de criminels à mettre incessamment sous peu derrière les barreaux.

Quand la peur mène à l’extrémisme

S’inquiéter d’une chose peut mener à des chemins dangereux, parfois extrémistes. Et pour l’Internet, comme pour bien d’autres choses, ce constat est très flagrant. Il y a notamment l’extrémisme élitiste, qui consiste à attaquer systématiquement l’Internet et ses acteurs afin d’alimenter les peurs et la méfiance constante vis-à-vis du réseau. À leur prétendue lumière, ils opposent ce qu’ils considèrent comme étant une anomalie génétique dans leur monde parfait et conformiste. Ils font passer l’Internet pour un lieu dangereux, où les pires choses arrivent, tenu par des ignorants et des criminels en tous genres.

Les conséquences de cela sont l’arrivée de comportements extrémistes au sommet des structures étatiques qui tentent de contrôler l’Internet au nom de prétextes alimentés par ces peurs. Ainsi, le contrôle total de l’Internet serait nécessaire au nom de la lutte contre la criminalité et au nom de la sécurité nationale, comme si les cibles annoncées se baladaient dans la partie visible de l’Internet, alors qu’elles naviguent dans des zones plus sécurisées et bien plus secrètes, où l’internaute lambda n’y va jamais (ou alors y arrive par accident). Sans parler que derrière, l’état devient paranoïaque et considère tout humain présent sur l’Internet comme un criminel en puissance.

L’extrémisme des classes dominantes se produit lorsqu’elles s’aperçoivent que leur pouvoir est en train de leur échapper. Elles se montrent alors de plus en plus répressives pour tenter de rester sur leur trône qui leur revient (paraît-il) de droit divin. Cependant, le principe de la démocratie qui est l’un des fondements de l’Internet et de nos sociétés modernes est que ce soit le peuple qui décide de sa destinée, sans être conduit par une minorité prétendument supérieure. Cette minorité voit son pouvoir contester et lui échapper et personne ne la pleurera quand elle rendre ce qu’elle n’aurait jamais dû s’accaparer.

Internet et culture libre : le devenir des artistes professionnels

L’Internet permet le partage sans limites (ou presque) de toute information compilée sous forme de donnée. En ce sens, elle permet à de nouveaux artistes d’émerger et de se faire connaître, une chose qui aurait pu leur être bien plus difficile en l’absence du réseau. Ce dernier permet également à des artistes amateurs de pouvoir partager et diffuser leur art, une chose qui est perçue par certaines corporations d’artistes professionnels comme de la concurrence déloyale qui explique, avec le piratage, leur déclin. Dans un monde où l’Internet est de plus en plus présent, les artistes professionnels ont-ils encore un avenir viable ?

Artiste amateur et artiste professionnel

Être professionnel ou amateur n’est pas une question de qualification, de niveau ou même de talent ; traiter une personne qui s’y prend mal d’amateur relève du pur mépris élitiste. Alors que l’amateur exerce une passion durant ses temps libres, le professionnel en fait son mode de travail et sa principale source de revenus. Dans les deux cas, les artistes ont leurs œuvres protégées par le droit d’auteur, mais n’en ont pas toujours la même perception. On note souvent un attachement moindre au droit d’auteur (surtout au niveau du droit patrimonial) chez les amateurs, du fait qu’ils ne font qu’exercer une passion et utilisent les licences libres ou les licences de libre diffusion pour partager et diffuser leurs œuvres et utilisent massivement l’Internet pour cela. De leur côté, la plupart des artistes professionnels disposent de moyens de promotion à assez grande échelle mis à disposition par leur éditeur.

Vers une suprématie des amateurs ?

Le discours catastrophiste de certaines corporations d’auteurs nous fait croire que les artistes professionnels sont devenus une espèce en voie d’extinction. Une extinction qui, paraît-il, profitera aux amateurs qui produisent (forcément) un travail de moindre qualité, donc il y a aura disparition de la culture et blablabla… La réalité est tout autre. Il y a certes un fait indéniable : l’Internet a changé le rapport de forces entre les amateurs et les professionnels dans de nombreux domaines (et pas seulement l’art et la culture). Mais cela va t-il amener à la disparition des professionnels et à une régression culturelle ?

La réponse est non pour les deux points. Pour le premier, c’est non, car les artistes professionnels sauront s’adapter aux pratiques liées à l’Internet ; ceux qui sont menacés de disparition, ou du-moins de régression, ce ne sont pas les artistes eux-mêmes, mais ceux qui les publient et qui font leur promotion (ce sont par ailleurs eux qui tiennent le discours catastophiste indiqué ci-dessus). Le futur sera en réalité un monde où les amateurs et les professionnels seront sur un même plan (ça commence déjà à être le cas), sans organisation pyramidale liée à un mérite, un diplôme ou un label. Ce que les professionnels ont réellement perdu, c’est leur monopole relatif sur la production artistique diffusée à grande échelle.
Pour le second point, la réponse est également non, car la hausse de la valeur culturelle provient de la diversité et donc de la production de la culture par le plus grand nombre et non pas juste par une poignée de personnes enfermée dans des codes similaires qui tuent la diversité et mènent à la régression culturelle.

Changer le modèle économique de l’art

Cependant, si les professionnels ne changent pas de modèle économique, ils péricliteront de manière très sévère. Consacrer sa vie à un art ne doit pas devenir un parcours du combattant, mais rester un mode de vie tout à fait honorable (j’y reviendrais plus en détail dans un autre billet). Ce que les professionnels doivent faire, c’est tout simplement utiliser les mêmes méthodes que les amateurs, en s’appuyant sur l’Internet comme moyen de diffusion et de partage. Cela s’accompagnera aussi d’une réforme du droit d’auteur qui n’est pas un texte de liberté pour les utilisateurs, mais juste un texte qui accorde aux ayants-droits la liberté d’interdire, sans aucune limite. Si le droit d’auteur doit être un pacte d’équilibre entre les auteurs/créateurs et leur public, il ne doit pas être un texte de privilèges destiné à favoriser une minorité.

Un nouveau modèle économique dont le principe semble intéressant (mais avec lequel je ne suis pas entièrement en accord) est celui prôné par la théorie du partage marchand. Ici, l’auteur fixe une somme totale que rapportera son œuvre avec une régression progressive du prix au fur et à mesure que les ventes augmentent couplée à un remboursement des premiers acheteurs de sorte qu’au final, ils payent la même somme que les derniers acheteurs. Une fois le quorum atteint, Laurent Fournier, l’auteur de cette théorie, prône un passage direct dans le domaine public. Une chose qui n’est guère possible (toutes les juridictions n’incluent pas le domaine public du vivant de l’auteur, comme en France) et souhaitable, car les droits fondamentaux de l’auteur ne seraient plus respectés de son vivant. Il serait plus souhaitable que l’œuvre passe ensuite sous licence libre ou licence de libre diffusion.

C’est cependant un modèle économique intéressant qui permettrait un échange à la fois équitable pour l’auteur et le public ; le premier pouvant vivre de son travail et le second pouvant acquérir l’œuvre à bas coût et la partager par la suite.

6 janvier 2014 : un an de blog déjà

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Le temps passe relativement vite pour un homme, mais il semble bien plus long pour un internaute. C’est du-moins l’impression que j’ai lorsque je fais une petite rétrospective de l’année écoulée, car aujourd’hui le présent blog souffle sa première bougie. Mais si pour l’être humain qui tape sur le clavier de son ordinateur, la date de sa création remonte à hier, pour l’internaute qui tient ce blog, cela semble remonter à une éternité ; peut-être est-ce parce que l’année 2013 a été riche en événements sur l’Internet.

Si ce blog était à la base surtout destiné à parler des projets de la Wikimedia Foundation, il s’est rapidement retrouvé dans une spirale bien plus grande pour atterrir dans le vaste monde de l’Internet libre, de la culture libre et de leurs défenseurs. Plus que jamais, je destine ce blog à la défense de l’idée de culture libre et d’un réseau libre et indépendant de toute structure étatique ou supra-étatique.

À l’occasion de ce premier anniversaire, je me permet de faire un petit bilan rapide de mon activité sur ce blog au cours de l’année écoulée avec une chronologie et quelques statistiques. Ce 6 janvier 2014 n’est pas seulement la date anniversaire de ce blog, mais également celle de la CNIL, fondée le 6 janvier 1978, soit 35 ans avant la création du présent blog ; aussi, bon anniversaire à la CNIL !

Chronologie

Statistiques

Bilan

  • Articles publiés : 108 billets + 2 dossiers
  • Vues cumulées : 10 059
  • Visiteurs cumulés : 5276
  • Nombre de vues par visiteur : 1,91
  • Commentaires : 262

Consultations par pages et par jour/mois

  • Page la plus consultée : Wikipédia : crash journalistique pour Lyon Capitale (1er juin 2013)
  • Page la moins consultée : La culture : une notion sans loi (1er décembre 2013)
  • Consultations moyennes par page : 71,87 vues
  • Mois avec le plus de vues : Avril 2013
  • Mois avec le plus de visiteurs : Juin 2013
  • Mois avec le moins de vues : Décembre 2013
  • Mois avec le moins de visiteurs : Décembre 2013
  • Moyenne mensuelle de vues/visiteurs : 838,25 vues / 439,67 visiteurs
  • Moyenne quotidienne de vues/visiteurs : 27,56 vues / 14,45 visiteurs

Consultations par pays

Où êtes-vous principalement situés ? En Europe occidentale, en Amérique du Nord et en Afrique de l’Ouest.

  1. France : 8 116 vues (80,68 %)
  2. Suisse : 501 vues (4,98 %)
  3. Belgique : 310 vues (3,08 %)
  4. Canada : 241 vues (2,40 %)
  5. États-Unis : 156 vues (1,55 %)
  6. Maghreb : 120 vues (1,19 %)
  7. Reste du monde : 615 vues (6,12 %)

Après avoir fait ce bilan, quels sont les projets pour l’avenir ? Continuer à tenir ce blog bien entendu, car rien n’est encore fini. Dans les semaines qui suivent, je prévoie de publier un web-livre, librement téléchargeable, qui compilera les billets du présent blog, ainsi que des billets de mes collègues Calimaq et Desert de sel, à propos de la réforme du droit d’auteur.

À cette occasion, je rappelle de la Commission européenne a lancé une consultation citoyenne pour envisager une réforme du droit d’auteur à l’échelle européenne. J’appelle un maximum de citoyens de l’Union à répondre à cette consultation afin de permettre un premier changement qui permettra plus de justice dans le système du droit d’auteur, mais aussi pour empêcher un durcissement du droit en vigueur qui est également prévu dans le texte initial de la consultation.

La culture : une notion sans loi

Les défenseurs du droit d’auteur associent souvent un concept à la culture : la loi ; selon eux, la première devrait respecter la seconde. Pour justifier l’existence et la nécessité d’avoir des lois liberticides dans un univers où la liberté est totale, on double à l’argument économique classique un argument sans justification valable et dangereusement nationaliste.

La culture et la liberté

On ne peut dissocier la notion de culture et la notion de liberté, elles sont étroitement liées et dépendent entièrement l’une de l’autre. La liberté de créer et la liberté d’expression permettent la création et la diffusion de la culture, qui elle-même permet à la liberté de penser qui ira alimenter de nombreuses libertés, dont la liberté de créer et la liberté d’expression. Au-delà de la notion de libre partage, la culture dite libre est aussi une culture qui est produite sans aucune contrainte et permet la libre diffusion des pensées sous de nombreuses formes. Cet aspect libre de la culture contraste avec le caractère codifié et contraignant qui a régit la création des œuvres pendant de nombreux siècles, que ce soit pour des motifs religieux, politiques ou tout simplement de la volonté d’une élite qui voulait un monde conformiste qui ne correspondrait qu’à sa seule vision.

Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que la science réussisse à s’émanciper de la répression religieuse et à innover librement pour permettre les progrès dont nous bénéficions de nos jours et qui se poursuivent encore. Quand était-il avant ? Les avancées scientifiques étaient bloquées par la religion, car les découvertes se heurtaient aux dogmes et aux écrits qui formaient le ciment même d’un mode de pensée qui interdisait toute vision déviant des Saintes Écritures.

Représentation du système géocentrique de Ptolémée

La religion a freiné l’avancée scientifique pendant plus de 500 ans, tout comme la religion de l’argent et de l’égoïsme freinent l’avancée et la créativité culturelle (Loon, J. van, DP).

Qu’en est-il de la culture ? Elle suit un cheminement semblable à celui de la science, mais avec un ou deux siècle de retard ; en effet, le grand déclencheur qui permet la libéralisation de la culture fut l’arrivée d’Internet et du numérique qui permettent aujourd’hui la libre diffusion des œuvres et démultiplication des moyens et des modes de création. Il est par ailleurs assez cocasse de voir certains fanatiques du droit d’auteur crier au totalitarisme à l’encontre de la culture libre, alors que leur discours colle assez bien avec l’une des emblématiques phrases de l’état totalitaire de l’Océania, tiré du roman 1984 de Georges Orwell : « La liberté, c’est l’esclavage ».
Mais avant cela, la culture n’était-elle pas libre ? Uniquement de manière illusoire. Durant les précédents millénaires, la culture se devait de respecter des codes liés à divers principes religieux, moraux ou politiques. Les œuvres qui déviaient des codes édictés, et qui devaient être respectés autant qu’un livre fondateur d’une religion, étaient détruites et leurs auteurs châtiés par des moyens qui ont changés en fonction des modes de gouvernement et de société.

La culture légale : une notion dictatoriale

Il s’agit là d’une des ultimes hypocrisies que l’on puisse trouver dans les raisonnements des pro- du droit d’auteur actuel. Selon eux, il y aurait une culture que l’on devrait qualifier de légale (la leur) et une autre qui serait illégale (celle des autres). Il y a deux grandes origines à cette idéologie. La première est la grande classique qui revient systématiquement : le mercantilisme exaspéré qui tente de s’approprier la culture pour le transformer en source de revenus au mépris de ceux qui en sont légitimement propriétaires : les Hommes. Le second est également assez répandu, mais moins perçu : le nationalisme culturel ; il se décline sous différentes formes, mais sa caractéristique est la suivante : la culture d’une nation est toujours supérieure à celle des autres. Pour marquer cette supériorité, il faut avoir un total contrôle sur elle et la mettre en concurrence avec les autres cultures qui sont considérées comme invasives et même illégales sur le territoire national.

Cette volonté de contrôler la culture est un des principaux mécanismes du conservatisme culturel où l’on tente de hiérarchiser les cultures selon leurs origines, leur public et leur place dans le temps. Certes, il est du devoir des états de préserver leur culture national et de la diffuser à leurs citoyens, mais en ont-ils vraiment la volonté ? Les cas de certaines institutions culturelles nationales montrent que si elles sont toutes prêtes à conserver la culture, elles sont beaucoup moins enclines à la diffuser de manière libre et transparente. Les symptômes de ce problème sont le copyfraud et la restriction de l’accès et/ou de la libre diffusion par des moyens à la limite de la légalité (comme l’interdiction de photographier des œuvres dans un musée) où l’on tente de placer la culture sous le coup d’une loi imaginaire afin de mieux la contrôler.
La culture est vecteur de pensée, nouvelle comme traditionnelle ; contrôler la culture et sa diffusion, c’est contrôler ces pensées et leur diffusion où les détenteurs ont un pouvoir de choisir librement quelle culture (et donc quelle pensée) doit être diffusée au peuple. Le contrôle des pensées est un thème que l’on retrouve dans les dictatures.

Dénicher la vraie culture de la fausse

Il existe des justificatifs à légaliser la culture, mais sont-ils légitimes ? En dehors des problèmes liés au droit d’auteur, il y a t-il d’autres raisons de légiférer sur la culture ? On pourrait dire que si on laisse la culture se créer sans aucune contrainte, on pourrait voir apparaître des créations injurieuses, ou pire encore, se faisant passer pour de la culture. Cependant, ce fait existe déjà avec même une législation, car contourner ce genre de code est très aisé dans une zone où la liberté est une maîtresse absolue. La culture a pour but de véhiculer des pensées et donc à terme de forger les idées et les pensées de chaque individu. Il est en réalité du devoir des institutions culturelles et des acteurs de la culture de donner aux gens l’opportunité de voir ce qu’est la vraie culture pour la différencier de celle qui tente de l’usurper.

Allégorie de la pensée

Nos idées et nos pensées sont issues de notre contact à une culture large et ouverte afin de forger notre esprit critique (Filosofias filosoficas, CC-BY-SA 3.0).

Or, une législation contraignante et des pratiques restreignant l’accès à la culture pour à la fois la préserver et la protéger ont les effets inverses. L’accès à la vraie culture étant très limité (en exceptant la culture libre), les gens n’ont pas l’éducation et la conscience nécessaires pour saisir l’essence primordiale de la culture et donc d’en discerner la vraie de celle qui l’usurpe. Mais ce fait ne dérange pas les détenteurs de la culture dite légale selon leurs propres termes, car ils conservent leur savoir et leur caractère élitiste et donnent aux gens l’illusion d’être en contact avec la culture et maintiennent leurs pensées sous contrôle.

La culture ne peut être contrainte par des lois ou des codes, car elle est indéfiniment liée à la notion de liberté qui l’alimente et est alimentée par elle. Légiférer sur la culture et lui donner des codes serait une régression qui empêcherai l’avancée des pensées, tout comme le contrôle de la science par la religion a empêché les avancées scientifiques pendant plusieurs siècles.