Afripédia : créer des livres pour conserver les traditions orales ?

Projet initié par Wikimedia France, l’Institut français et l’Agence universitaire de la Francophonie, Afripédia a pour objectif de favoriser la diffusion et la contribution à Wikipédia dans l’Afrique francophone. Ce projet est tout à fait louable, car il permet à la fois d’élargir l’accès à la connaissance libre à une nouvelle frange de la population, mais aussi ajoute de la diversité dans le profil des contributeurs et dans les sujets et types de contributions qui peuvent être abordés sur l’encyclopédie. Cependant, il est probable que les effets soient démultipliés si le projet démultipliait son objectif autour de l’intégralité des projets de la Wikimedia Foundation.

Créer des sources pour les articles

Apprendre à contribuer à Wikipédia c’est bien, mais en avoir les moyens est encore mieux. Si la barrière de l’accès à Internet peut être progressivement franchie, le problème qu’il risque d’apparaître encore est bien celui des sources. Pour avoir observé quelques contributions, je dénote que les nouveaux contributeurs africains sont confrontés au très grand problème d’absence totale de sources fiables et vérifiables locales, sans parler de l’import d’informations non-encyclopédiques, mais ce dernier point se règle progressivement avec l’apprentissage de ce qu’est le savoir. Si les traditions et savoirs, sont depuis de nombreux siècles, couchées sur le papier dans les pays occidentaux, l’oral est encore très présent en Afrique. La transmission orale du savoir est incompatible avec l’exigence de vérifiabilité qui régit la rédaction d’un article sur Wikipédia ; le projet Afripédia pourrait servir à recueillir ce savoir qui serait alors incorporé sur un site spécialisé (par exemple Wikisource et Wikilivres) qui pourrait alors être utilisé comme source pour les articles de Wikipédia. Au-delà de créer des sources, cela permet aussi de pérenniser et de diffuser librement un savoir encore méconnu, mais qui n’attend que d’être découvert.

Élargir la mission Afripédia

Pour des raisons pratiques, Afripédia reste encore limité aux zones avec accès à Internet, notamment les campus universitaires. Cependant, il serait bon sur le long terme d’élargir le projet à des endroits bien plus reculés à la fois pour diffuser le savoir, mais aussi pour trouver un savoir encore inconnu et l’enregistrer pour qu’il soit par la suite diffusé via les projets de la Wikimedia Foundation. Enfin, cela pourrait permettre la diffusion de langues ou dialectes locaux qui sont en danger du fait de la suprématie des langues nationales, menaçant de détruire des pans entiers de notre culture. Cela peut se faire avec l’appui d’ONG qui œuvrent dans ces régions et avec l’aide d’experts.

Carte des familles linguistiques en Afrique

Carte des familles linguistiques en Afrique (Mark Dingemanse, Pmx & Doodledoo ; Wikimedia Commons, CC-BY-SA 2.5)

Plus que de diffuser le savoir, les projets de la Wikimedia Foundation doivent aussi être un temple où l’intégralité du savoir humain, dans sa diversité, sa complexité et sa splendeur doit être sauvegardé et diffusé. Afripédia a ce potentiel dans l’Afrique francophone et je souhaite qu’elle l’atteigne un jour.

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2 réflexions sur “Afripédia : créer des livres pour conserver les traditions orales ?

  1. Bonsoir,

    Merci pour tes idées sur ce projet.

    Je rectifie tout d’abord une petite inexactitude dans ta présentation du projet : tu écris que le projet est pour l’instant cantonné aux zones avec accès internet. C’est exact (par définition) pour la partie « contribution », en revanche pour la partie « diffusion » grâce aux plugs computers et clés usb, l’accès internet n’est absolument plus nécessaire puisque c’est une archive de Wikipédia qui est diffusée, renouvelée périodiquement. D’ailleurs la diffusion commence à quitter les universités pour atteindre des écoles de campagne qui ne sont pas reliées à internet. Suivre par exemple le travail de Boukary Konaté au Mali sur son blog : http://fasokan.com/tag/afripedia/ (cet article notamment m’a touchée : http://fasokan.com/2013/04/20/afripedia-continue-son-chemin-dans-les-ecoles-rurales-au-mali/ ). Boukary s’est donné le défi d’installer Wikipédia hors-ligne dans 1000 écoles rurales, et c’est assez remarquable !

    Sur la question des sources pour contribuer. Oui il y a un énorme souci avec la culture orale. Cependant je ne suis pas sûre que ta proposition soit si facile que ça à implémenter : recueillir la culture orale pour qu’elle serve de source sur Wikipédia, c’est recueillir une source primaire. Donc elle ne pourra pas réellement servir de source selon les règles de Wikipédia. La recueillir pour Wikimedia Commons en revanche, oui complètement. Charge ensuite à des spécialistes de s’en servir comme matériau de base pour des travaux scientifiques qui eux pourront servir de sources pour des articles. Travail énorme. Ou alors, considérer que ce savoir oral est suffisant comme source. Il y a pas mal de discussions là-dessus chez les wikimédiens du « Sud » et j’espère qu’on pourra reprendre le sujet à la prochaine Wikimania cet été. Mais pour l’instant malheureusement je crains que la communauté ne soit pas prête à recevoir cela…

    Sur la question des langues enfin, je ne peux que te rejoindre. Pour l’instant nous incitons à contribuer en français mais on a déjà discuté avec les participants au projet des langues locales. Certaines ont leurs Wikipedia, d’autres non. Personnellement j’encourage largement à contribuer dans ces langues, tout en soulignant la difficulté qu’il peut y avoir à contribuer dans une Wikipédia avec une plus petite communauté, notamment le risque de découragement. Cela étant, et pour relier au sujet précédent, un kenyan l’an dernier à Wikimania disait qu’après tout, si les sources orales allaient avec la culture locale, alors sur ces Wikipedia « locales » les communautés pouvaient bien transmettre le savoir telles qu’elles l’avaient apprises, donc avec les sources orales, chose quasi impossible à faire sur les Wikipedia en langues occidentales.

    Je suis en train de travailler avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France sur un projet de formation à la contribution dans les langues d’outre-mer, créole réunionnais, mahorais notamment. C’est en construction donc pas de résultats à donner pour l’instant mais les problématiques sont les mêmes : culture grandement orale, langues parfois pas tout à fait « fixées » à l’écrit. Selon les résultats que cela donnera, je pense qu’on pourra envisager d’élargir alors le projet Afripédia.

    L’idée est de toutes façons de procéder par petites étapes, modestement, et de « consolider » chaque étape en apprenant de ses erreurs. Donc tout cela avance à petits pas… Sans oublier que la « simple » consultation facile de Wikipédia est pour l’instant l’apport le plus utile aux populations visées. Nous sommes en train d’ajouter un corpus d’ouvrages de Wikisource également, très utile aux universités peu ou pas reliées au net pour enseigner (au Niger notamment, aucun accès stable à internet à l’université de Niamey, la capitale !). Bref, beaucoup de pain sur la planche pour les mois à venir…

    Désolée pour ma réponse fleuve et merci pour ta réflexion sur le sujet 🙂

    • J’ai mal formulé, bien entendu je voulais parler de la contribution pour les zones avec accès à Internet, je me doute que la diffusion de Wikipédia s’est déjà élargie à des zones sans accès.
      Je ne suis pas sûr que l’on puisse vraiment qualifier toutes ces sources potentielles comme étant des sources primaires étant donné que les personnes qui fourniront les informations sont celles qui détiennent le savoir qui manque et peuvent déjà l’avoir analysé, ce qui donne dans ce cas à la source un caractère secondaire. D’autant que la présence de sources primaires n’est pas interdite, mais juste déconseillée (je dis cela, alors que je suis sûrement l’un des wikipédiens les plus rigoristes en matière de sourçage ;)).

      Au niveau des langues, on peut retrouver l’analyse qu’avait faîte Pierre-Carl Langlais il y a quelques mois sur son blog à propos de la baisse du nombre de contributeurs sur la Wikipédia anglophone, qui est en partie expliquée par le fait que les gens parlant une langue peu parlée démarrent de préférence leurs contributions en anglais, mais vont plus tard sur la version de Wikipédia dans leur langue maternelle (si elle existe ou est créée). Si l’on récupère des informations depuis ces versions de Wikipédia rédigées de manière orale, les sources qui peuvent être insérées sur Commons ou Wikisource peuvent alors servir aux contributeurs occidentaux de preuve de l’exactitude des informations présentes. De mon point de vue, les sources orales peuvent et doivent exister sur les versions de Wikipédia en langues occidentales ; ces langues sont parlées dans des zones où la transmission se fait par l’oral et ces dernières ne doivent pas être négligées. Une version linguistique de Wikipédia est multiculturelle et doit prendre en considération cette caractéristique, c’est comme cela que la diversité dans le profil des contributeurs et dans les contributions apparaîtront. Wikipédia a surtout été construite jusqu’à présent selon des pensées et des dogmes des pays du nord (que je ne remet pas en cause, je les applique moi-même), mais nous devons aussi laisser aux pays du sud leur marge de manœuvre pour les laisser construire leur partie de Wikipédia selon leur mode de pensée.

      Mon billet avait surtout pour objectif de donner des pistes de développements futurs pour un projet qui à mon sens dispose d’un énorme potentiel pour les projets de la Wikimedia Foundation et la diffusion du savoir. La Foundation avait annoncé que 2013 serait consacrée aux pays du sud, mais je pense qu’Afripédia est un pionnier qui peut devenir un fer de lance de cette nouvelle diffusion à l’échelle planétaire.

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